L'année du Lion



Deon Meyer, 2017, Le Seuil, 640 p., 17€ epub avec DRM


Un récit post apocalyptique optimiste, c'est possible ?
Oui, Deon Meyer vous le démontre dans ces lignes.

Je pense que les humains forment une espèce qui survivrait probablement à une catastrophe globale… parce qu’ils ont déjà démontré qu’ils pouvaient survivre au pire. Mais j’ai voulu voir comment ils s’y prendraient s’il fallait repartir à zéro. Est-ce qu’il est possible de régler les problèmes d’inégalités sociales qui nous ont menés où nous en sommes ? De cesser de détruire l’environnement en menaçant la survie même de la vie sur la planète ?
Interview de Deon Meyer dans Le devoir

Présentation de l'éditeur :


Ils ont tué mon père.
Je les aurai.
Après la Fièvre qui a décimé les neuf dixièmes de la race humaine, mon père, Willem Storm, a fondé Amanzi, une nouvelle colonie, et l'a menée du chaos à l'ordre, de l'obscurité à la lumière, de la famine à l'abondance.
Je suis Nico Storm, formé par Domingo à l'art de tuer.
Je détestais mon père et je le vénérais.
Ils l'ont abattu à Witput, dans notre beau Karoo, en bordure de l'ombre effacée d'un cercle d'irrigation.
Je vais trouver ses tueurs et je le vengerai.
Ce qui suit est mon histoire.

Mon ressenti :


Les mémoires de Nicolas Storm sur l'enquête de l'assassinat de son père.
Son père, c'est Willem Storm. Un homme humaniste et idéaliste qui parcourt le pays avec son fils de treize ans dans un poids lourd pour tenter un nouveau départ. Le monde a changé terriblement : un virus a décimé 95% de la population mondiale. La famine, le déclin technologique et les vagues de suicides ont fait le reste. Une minorité tente de survivre.

L'année du lion, c'est cinq ans dans la vie d'une communauté post apocaplyptique, de sa création par Willem Storm à son assassinat. Ce récit survivaliste raconte la mise en place de cette société, de ses progrès agricole, éducatif et techniques à sa consolidation politique, militaire et religieuse en passant par les tensions humaines.
Au delà de cette approche somme toutes assez binaire et vite survolée, c'est surtout l'occasion d'un dialogue non dit entre un père et son fils face aux événements. Deon Meyer cependant ne fait pas dans le larmoyant mais dans l'émotion juste.

Souvent dans ce style de récit, nous sommes dans un certain pessimisme. Ici, l'optimisme est de mise, même si quelques bassesses humaines structurent le récit et maintiennent une tension dramatique. Si L'année du lion est novateur, c'est bien sur ce côté solaire, loin de la sinistrose de bien des livres de ce genre.
Ça se lit en outre facilement et vite, l'auteur a le sens du récit, du cliffhanger bien dosé. Des petites notes d'humour parsèment le texte. Le roman est entrecoupé de témoignages recueillis sur les habitants de la colonie, permettant d'avoir des points de vue différents.
Les personnages et personnalités sont divers et variés, sans pour autant submerger le lecteur de trop d'indications. Mais j'aurais aimé un peu plus de profondeur dans la caractérisation de certains.

Deon Meyer est un auteur de polar, il s'est mené sa barque et nous nous demandons qui est l'assassin du père fondateur jusqu'au coup de théâtre final, sans oublier quelques fausses pistes savamment distillées.

L'auteur est originaire d'Afrique du Sud (il sait par ailleurs retranscrire les formidables paysages), difficile dès lors de ne pas faire le parallèle avec l'histoire de ce pays. De ce passé, il tente de créer un autre mythe fondateur d'une possible société cosmopolite et fraternelle. Universel.
Une dernière chose, simple, que j'ai aimé : l'histoire se déroulant en Afrique du Sud, les saisons sont inversées. Je suis tellement habitué à voir le déroulement des saisons de l'hémisphère Nord dans les livres que j'ai aimé cet altérité, tellement rare en littérature SF. Cela en dit beaucoup pour un détail minime.

Du suspense, de la réflexion, du polar, du post apocalyptique, de l'idéalisme et des trahisons, bref un roman captivant qui se lit sans mal mais qui ne renouvelle pas le genre.
Les amateurs de la Trilogie Le passage de Justin Cronin seront en terrain conquis, Deon Meyer ayant bénéfiquement enlevé toute le fatras mystique et religieux pouvant agacé dans la trilogie.
Seule la fin m'a déçu, le retournement de situation n'étant pas nécessaire à mon sens et a rendu le récit peu vraisemblable.
Dommage aussi pour le prix et les DRM, tout le monde ne pourra pas en profiter !



Le Vanderkloof Dam, lac artificiel dans le Grand Karoo, fondation de la colonie
Tinus Badenhorst/CC BY 3.0

Quelques citations :

Einstein a dit : « Deux choses sont infinies : l’univers et la bêtise humaine ; mais je ne suis pas sûr pour l’univers. »

Il n’y avait rien à aimer avant la Fièvre. Rien. C’était un monde fou et méchant. Tout le monde haïssait tout le monde. Blancs et Noirs, propriétaires et démunis, libéraux et conservateurs, chrétiens et musulmans, Nord et Sud, je pense qu’on cherchait activement des prétextes pour haïr ; tu es plus grand que moi, donc je te hais pour ça aussi.
Donc, ça ne me fait rien que ce monde n’existe plus.

Comment peut-il y avoir des mondes tellement disparates ? Comment expliquer le barbarisme des hommes qui ont poignardé Okkie et celui des Maraudeurs ? Et à côté, il existe cette oasis que mon père a su créer.
Appartenons-nous à la même espèce ?

Père dit que l’homme n’a été pendant des milliers d’années qu’une des nombreuses espèces sur la Terre. La population d’humains variait selon les sécheresses, les inondations, la famine et l’abondance, mais les chiffres se sont toujours équilibrés en fonction de la nature.
Et puis, il y a environ douze mille ans, tout a changé de manière radicale. La quantité d’humains s’est développée de manière exponentielle. Et ce n’était pas dû à une modification génétique ou à un changement climatique. C’était imputable à notre capacité de raconter des histoires.
Père dit que nous sommes les seuls organismes qui peuvent changer fondamentalement leur comportement parce que nous sommes capables de créer des fictions. Des fictions tellement grandes et décisives qu’elles rassemblent les humains en groupes de plus en plus importants, pour faire des choses de plus en plus impressionnantes. Yuval Noah Harari parle de réalités imaginaires, de constructions sociales et de mythes. Ces histoires, ces constructions sociales sont composées de concepts comme le nationalisme qui unit des personnes de langues, de cultures ou d’idéologies politiques différentes. Le communisme. Le capitalisme. La démocratie… Des réalités imaginaires, car elles n’existent que dans l’esprit des gens, elles n’ont pas de fondement scientifique.

Comment raconter la Fièvre ? Impossible à décrire. C’était pareil pour tout le monde. On voit les actualités à la télé et on les entend à la radio, et on pense, non, ils vont l’arrêter avant que la chose n’arrive chez nous, mais on se le demande et on a un peu peur. Comme avec Ebola, une ou deux années avant la Fièvre. Mais tu te dis, nous vivons à l’époque de la science, ils trouveront sûrement une solution, et tu ne t’en fais pas trop. Jusqu’à ce que l’Angleterre et les États-Unis annulent les vols et déclarent un état d’urgence. Alors, on s’inquiète car ça n’a jamais été aussi grave avant. Et puis le virus est là et on pense, il va falloir qu’ils se grouillent, et pour la première fois, on a vraiment la trouille. Ensuite, il n’y a plus d’électricité et personne ne vient travailler, et j’appelle sans cesse mes enfants mais ils ne répondent plus. Et puis les réseaux des mobiles s’effondrent. Je me suis caché dans cet élevage de poules, ce n’est pas une blague. Je pensais que j’étais vivant parce que j’y étais resté ; je couchais là-bas et je n’allais nulle part. Et puis la radio s’est tue. Plus aucun son. Et j’ai guetté le chemin, mais il n’y avait rien. J’ai donc pris la route. Et j’ai senti Heidelberg. À quatre kilomètres de la ville, je sentais déjà tous ces morts. C’est alors que j’ai su.
Il y a un temps pendant lequel on se sent coupable d’avoir survécu et on se demande pourquoi, vu qu’on a mené une vie de con. Mais on s’y habitue. Bizarre, hein ?

Nous sommes éternellement prisonniers de notre point de vue unique. Nous essayons de considérer les autres avec honnêteté, comme des égaux, nous croyons sincèrement être assez objectifs pour y arriver, mais au bout du compte c’est une illusion. Nous ne pouvons voir qu’avec nos propres yeux. Même à l’âge adulte, l’objectivité est un leurre.

4 commentaires:

  1. Oulalala!
    Un récit post-apocalyptique optimiste!!!! Mais rien que d'imaginer, ça fait du bien! Déjà, je ne connais pas l'auteur et encore moins son roman.
    Pourtant, l'idée de rebâtir une société sur les cendres de l'ancienne à de quoi attirer mon oeil, surtout si cela mêle une bonne histoire, l'humour et du suspens.
    Bon, je suis très intéressée et convaincue par ton avis.

    PS : je connaissais la citation d'Einstein, que je cite de temps à autre!

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    1. Post apo, histoire de l'Afrique du sud, les éléments étaient présents pour faire dans le noir, surtout venant de ceta auteur de polar. Mais il a décidé de prendre le contre pied, et c'est un bon résultat.
      J'espère que tu penseras de même

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  2. Je ne connaissais pas l'auteur qui a l'air très prolifique. J'avais remarqué ce livre en me disant qu'il pourrait m’intéresser. Ta critique renforce cette conviction. Par contre le prix du fichier numérique freine mes ardeurs, j'attendrais sa disponibilité en bibliothèque ou une opération commerciale intéressante voire une sortie en poche avec un alignement du prix numérique.

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  3. Auteur prolifique en polar mais qui tournez en rond vers la fin. L'année du lion lui a permis de sortir de cette impasse il parait.
    Je pense que le livre devrait te plaire, plus qu'un avant la sortie poche et un hypothétique alignement des prix.

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