Celui qui dénombrait les hommes


China Miéville, Fleuve éditions, 2017, 192p., 13€ epub avec DRM



Mon moi d’avant est surtout une énigme


Qu'attendez vous d'un livre une fois fini ?
Qu'il clôt toutes les pistes et donne toutes les clés ?
Ou qu'il laisse votre imagination combler les trous ?
Selon votre réponse, vous êtes devant un bouquin raté, ou brillant.

Présentation de l'éditeur :

Comme suspendue dans les airs, la ville est à cheval entre deux montagnes, coupée par un gouffre, réunie par un pont. Un pont dont les orphelins livrés à eux-mêmes ont fait leur royaume.
Plus haut dans la montagne, à l’écart de l’agitation de la cité peuplée de marchands, de marginaux et de magiciens, vit le faiseur de clés, avec sa femme et leur enfant. Un jour, son fils déboule dans les rues, comme s’il avait le diable à ses trousses. Son père a tué sa mère, et l’a jetée dans un trou si profond que l’on n’en voit pas le fond, affirme-t-il.
Mais faute de preuve, on préfère ne pas le croire. Alors c’est auprès des enfants du pont que le petit garçon va se réfugier. Jusqu’à ce que son père le retrouve.
Heureusement, bientôt, arrive en ville un recenseur, celui qui dénombrait les hommes…

Mon ressenti :

 

Sur un mont, un jeune garçon dévale un chemin de terre en hurlant. Cet enfant, c’est moi. Il étire les bras le plus possible, à croire qu’il a trempé ses mains dans de la peinture et qu’il veut les plaquer sur du papier pour faire un dessin, seulement ses paumes ne montrent que de la terre. On n’y voit pas de sang.
Il a neuf ans, je crois, et il n’a jamais couru aussi vite. Il trébuche, il se précipite. À plusieurs reprises, il donne l’impression de devoir chuter dans la rocaille et les ajoncs qui entourent le sentier, mais je garde mon équilibre et j’atteins l’ombre de la montagne. Le temps semble à l’humidité bien qu’il n’ait pas plu. Je projette dans mon sillage un nuage de poussière froide et des bestioles qui détalent devant moi.

Après lecture de ces premiers paragraphes, soit Nathalie Mège, la traductrice, s'en est pris une bonne, soit c'est une excellente traductrice !

Celui qui dénombrait les hommes, c'est l'histoire d'un adulte qui raconte un événement de son enfance. Ou plutôt un enfant qui conte ce qu'il a compris de l'événement. Ou l'histoire d'un traumatisme enfantin, avec ses floues une fois narrée par l'adulte qu'il est devenu.
Celui qui dénombrait les hommes est tout ceci à la fois : le garçon est je, il mais aussi l'autre. Ses parents sont ils mais aussi je.
Si vous ne comprenez pas, c'est normal. Même une fois le livre fermé, milles interprétations restent possible, toutes les clés de compréhension sont possibles. D'ailleurs, le père du garçon fabrique des clés. Des clés étranges, faites de métal, mais dont l’élément essentiel est autre. Sa mère s’occupe du potager dont elle revend le fruit à la ville lors de longues et mystérieuses déambulations. Difficile toutefois de parler de Mère et de Père tant le lien qui les unis semble distendu, inexistant mais ne ressemble à aucun lien filial.

Le père

Un monde esquissé à grands traits, est ce de l'anticipation, une contrée imaginaire, l'histoire future de quelques romans de Miéville ? Des liens ressortent avec Légationville et The City and the City de par la situation géographique : une ville divisée par un pont qui s'étale sur les versants de deux collines. Mais cela pourrait être aussi le futur d'une ville de Bas Lag de par certaines allusions glissées dans le texte.
Malgré le peu d'éléments que nous donne l'auteur, j'ai trouvé les non-dits plus riches dans la création de l'univers que bien d'autres livres descriptifs. La poésie est toujours présente, comme avec les pécheurs de chauve souris. Sans oublier ce titre magnifique, ouvrant la porte à de nombreuses interprétations.

Les pécheurs de chauves souris

Mais revenons à notre histoire, ce qui est sûr, c'est qu'un garçon dégringole la montagne pour hurler que sa mère a été tué par son père. Enfin, pas tout à fait car quelques instants plus tard, il dira que c'est sa mère qui a tué son père. A moins que ce ne soit juste une personne qui en a tué une autre ?
Reste donc l'histoire de cet homme qui dénombrait les hommes, un conte, un récit de vie, un rapport cryptique.

J'ai hésité longuement avant de me plonger dans cette novella : des retours ambiguës, un prix élevé au vue du nombre des pages. Mais cela reste un Miéville, et je finis toujours par me le procurer. Alors 13 euros l'epub, c'est cher, très cher, mais assez peu au final quand le livre contient aussi les 500 pages que vous imaginerez pour écrire l'histoire de l'histoire. Miéville ne nous avait pas habitué à publier des livres courts, ne vous fiez pas aux apparences, celui ci est un pavé caché.
Il existait les livres dont vous êtes le héros, China Miéville invente le livre dont vous faites l'histoire.

Le livre contient quelques illustrations qui donnent à mon avis la clé de lecture du livre : elles ressemblent à de vieilles photos floues, pleines de griffures du temps qui a passé. Illustrations qui n'ont pas été créditées dans la version numérique.

 

Celui qui dénombrait les hommes



Citation :



Mon directeur opérationnel m’a dit qu’on ne couche jamais rien sur le papier si ce n’est pour être lu. Chaque mot que l’on écrit a cet objectif et si certains termes dérogent à cette règle, c’est juste le hasard, un symptôme d’échec. Ils sont comme des larves qui mourront sans avoir changé. Il a ajouté : « Tu tiendras trois registres. »
Mon premier est donc un livre de décomptes. Il s’agit de listes, de calculs. Pour plus d’efficacité, je le rédige en langage crypté. Il y a une légende à laquelle je ne me reporte plus, connaissant désormais tous les symboles, ces raccourcis tracés qui signifient kilogramme et tonne, veuve, imprimeur, génération, voleur, sans compter ceux pour monnaie, pour chantier naval, pour médecin, pour incertitude, et le symbole suspens qui signifie la présence d’un facteur inconnu sur lequel je devrai revenir. Ce registre-là est destiné à tout le monde, même si nul ou presque ne le veut ni ne saurait comment s’y prendre pour le déchiffrer.
Le troisième de mes trois registres m’est destiné. Tu en tiendras un, m’a-t-il affirmé, dont tu seras le seul lecteur, dans lequel tu devras coucher des secrets. Mais tu ne seras jamais sûr que personne ne les lise : c’est le risque et c’est ainsi que fonctionne ce troisième registre.
Lorsqu’il m’a adressé cet avertissement, il avait le doigt en l’air comme pour marquer « un » dans une énumération.
Il a ajouté : Tu le rédigeras non pas parce que personne ne peut tomber dessus mais parce que cela coûte trop de ne pas l’écrire. Si tu tombes un jour sur le troisième registre de quelqu’un d’autre, à toi de voir ce que tu en fais. Tu pourrais le consulter, mais tu n’y es pas obligé. Rien de ce que tu verrais alors ne te serait destiné. Pour ma part, si j’en trouvais un, ma réaction serait de le brûler. Je ne le lirais pas, je ne te le donnerais pas non plus.
Si je récupérais un deuxième registre… ma foi, je te le confierais, bien sûr, a-t-il assuré. Celui-là est rédigé pour des lecteurs. Même si on ignore forcément quand et même s’ils viendront. C’est celui qui sert à conter, avec un N et un T. Pas besoin de code, dans ce cas. Sauf que… (il a refait le signe évoquant un « un » et je lui ai consacré toute mon attention) sauf qu’il peut malgré tout servir à envoyer des messages et à raconter des secrets. Même non codés. Tu pourrais les consigner tels quels, mais aussi les cacher sous les mots, derrière leurs lettres, dans leur ordre sur les lignes, dans leur disposition et leur rythme.
Le deuxième registre est mise en scène, a-t-il conclu


7 commentaires:

  1. Je ne suis pas sûre d'avoir la tête à ce genre de livre en ce moment mais je suis quand même intriguée. Je vais le noter dans un coin.

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    1. Il faut savoir le déguster au bon moment, c'est un bon cru

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  2. Autant je peux apprécier de ne pas avoir toutes les réponses, autant avec Miéville je sais que ça fonctionne rarement pour moi. Si celui-ci est dans la même veine, sans façon. ^^

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    1. Celui qui dénombrait les hommes est assez différent de ses autres livres, donc peut être que c'est le seul Miéville que tu pourras apprécier. Mais au vue du prix, je te conseille d'attendre sa sortie dans les médiathèques.

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    2. Ok, alors je l'essayerai éventuellement un jour. ;)

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  3. J'aime beaucoup cet auteur, il propose toujours des histoires si originales ! Il faudra que je lise celui-là.

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    1. L'originalité est encore au rendez vous. Je ne sais pas ce qu'il y a dans la tête de Miéville, mais cela doit être impressionnant.

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