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 Jean Michel Truong, Folio Sf, 2015, 576 p., 9€ epub avec DRM


Une forme originale, un fond percutant, mais quelques longueurs à déplorer.


Présentation de l'éditeur :


Un vieil homme est retrouvé mort dans une chambre d'hôtel. Il s'agit du professeur Ballin, qui reçut le prix Nobel pour avoir été le premier à réussir le clonage d'un être humain. Dans le même temps, onze personnes décèdent dans un incendie à la maison d'arrêt, suite à des émeutes. Ces deux affaires atterrissent sur le bureau du juge Rettinger. Il n'y a, a priori, aucun lien entre elles, pourtant, certains faits troublants vont alerter le juge. Mais la recherche de la vérité pourrait lui coûter cher. Surtout quand des intérêts supérieurs sont en jeu.

 

Mon ressenti :


Bien que souvent classé comme auteur de science-fiction, Jean Michel Truong préfère se définir comme « balisticien » : non pas préfigurer l’avenir, mais « évaluer le point d’impact d’un projectile déjà parti. Je parle de choses dont il existe un commencement d’exécution ». (Clémence Boulouque, Le Figaro, 25 février 2003, page 24 ) Après lecture de deux de ces romans, je ne peux qu'être d'accord.
  
Ecrit en 1988, revu en 2015, c'est cette dernière version que j'ai lu, l'auteur s'interroge sur les conséquences du clonage d'ici à quelques années.
"Roman" composé uniquement de pièces d'un dossier des services secrets qui mis bout à bout forme un tout cohérent. Cela demande un petit temps d'adaptation pour comprendre où veut nous mener l'auteur, mais après, la construction est un vrai plaisir.

On commence tranquillement par une enquête policière classique avec peut-être complot à la clé : une grosse multinationale, des politicards, des bas fonds, un commissaire de police et un juge d'instruction. Le tout est est relié avec brio, parsemé de fausses pistes et de doutes sur les tenants de l'affaire.
L'auteur ancre son récit dans un futur proche. Son anticipation reste très réaliste, les technologies invoquées existent déjà, seul leur perfectionnement diffère. Les personnages sonnent vrais et l'auteur réserve même quelques surprises aux lecteurs.

Certains passages sont criants de vérité et de cynisme à toute épreuve. Vous pouvez lire en bas de billet les quelques citations sur comment "préparer" au mieux l'opinion publique ou comment amadouer les instances religieuses et éthiques.  Rien de bien nouveau mais c'est énoncé d'une manière tellement cru et cynique que l'effet joue à plein.

Reste à vous parler du clonage. L'auteur dépasse le débat sur l'humanité du clone, pour lui, là n'est pas la question, les clones sont justes des machines, mais il déploie toute une analyse des conséquences de ce clonage : vie politique, législation, géopolitique, économie, religion, éthique, sciences. Une réelle anticipation à laquelle on pourra reprocher un manque de romanesque. Sur ce défaut, Jean Michel Truong a la réponse :

"On n'a pas le droit de faire de la littérature sur de tels sujets. "
"C'est une monstration a-littéraire. Il faut que le lecteur sache reconnaître l'horreur. Je la lui montre, dans une sorte de test de lecture. S'il ne la voit pas, tant pis. "

Comme dans Eternity Express, Jean Michel Truong a une vision sans concession de notre avenir. Conseillant les grands groupes, il ne fait de doute qu'il sait de quoi il parle.
Reste à lire son Successeur de Pierre qui a remporté le Grand Prix de l'Imaginaire du roman francophone en 2000.

Ce roman a reçu le prix Mannesmann-Tally 1989 récompensant le meilleur ouvrage lié à l'informatique.

L'auteur en parle à l'occasion du festival "Les imaginales d'Épinal" 2015 :


Quelques citations :


3.2.1. Impact de l’opinion publique
Ce facteur est à la fois le plus déterminant – dans la mesure où une hostilité généralisée reviendrait à une interdiction pure et simple de l’activité envisagée par RSA – et le plus facile à contrôler. Pour cette raison, RSA attachera une très grande importance à la qualité de ses relations publiques, celles-ci représentant près de 18 % du budget prévisionnel d’exploitation. Seront particulièrement privilégiées les relations avec les journalistes de l’audiovisuel et de la presse web, ainsi que les blogs destinés aux femmes et aux jeunes.
L’accent sera porté sur la dimension humanitaire de cette activité, en exploitant les cas dramatiques non résolus par les méthodes de transplantation traditionnelles, ou encore ceux imputables à la pénurie d’organes, et en leur opposant les réussites obtenues grâce à RSA. Dans cet ordre d’idées, la société offrira gracieusement des organes aux pupilles de l’État ou aux enfants des pays en voie de développement.
À l’inverse, on atténuera les aspects de cette activité qui pourraient paraître choquants, par exemple sa dimension industrielle. On promouvra plutôt l’apparence de « laboratoire » ou de « clinique » de RSA, en masquant son caractère d’usine.
Des études sont en cours pour préciser la thématique de cette politique d’image.
[...]
Toutefois, dans le but de désamorcer les préventions résiduelles des autorités spirituelles ou philosophiques et de promouvoir une image de haute tenue morale, RSA créera un comité international d’éthique, dont le rôle sera de conseiller le P-DG de la société sur les cas litigieux, et dont les membres, désignés par leurs institutions d’origine (Églises, Académie de médecine, ordre des médecins, Ligue des droits de l’homme), seront indemnisés de façon significative par RSA. Dans le même ordre d’idées, la société créera une fondation pour la recherche en éthique qui financera substantiellement les travaux des principaux leaders d’opinion du domaine et distribuera des bourses à leurs chercheurs. Le budget de cette fondation sera financé par un prélèvement proportionnel aux bénéfices de la société.

Fabriquer un robot met en œuvre des processus industriels complexes et réclame des ingénieurs et des techniciens hautement qualifiés ; élever un clone, à l’opposé, tient davantage de l’agriculture et reste à la portée de simples paysans. Les compétences à réunir pour programmer un robot sont rares et onéreuses ; celles requises pour conditionner un clone sont rustiques, proches des méthodes de dressage des animaux ou d’instruction des militaires. De la même façon, les clones ne réclament pas d’autres soins que ceux dispensés au bétail, alors que l’exploitation et l’entretien des robots exigent du personnel hautement qualifié et des outillages sophistiqués.
Il ne fait donc pas de doute que l’économie plaide en faveur du clone.



La reproduction interdite de René Magritte


4 commentaires:

  1. Il y a un titre qui me fait bien envie chez l'auteur mais ce n'est pas celui-ci. Je me le note quand même pour le cas où j'ai envie de me plonger dans l'univers du clonage. En fait, ce n'est pas qu'une question d'envie, mais plutôt que je pense les romans ont beaucoup évolué et amné dans le domaine. Notamment Egan, Brin ou encore Banks.

    Bref, c'est un pourquoi pas.

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  2. Le successeur de Pierre devrait être lu d'ici quelques mois...
    Le livre n'a pas pour vocation a égaler les auteurs que tu cites. Truong est plus dans l'anticipation societale. Son roman peut même à mon avis etre complémentaire par son approche differente de la hard sf. Mais malgré cela, je ne pense pas que ce roman soit dans ton cadre de lecture préféré.

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  3. J'ai un bon souvenir de ce titre mais le meilleur reste le successeur de pierre que j'avais adoré !

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    1. Ma prochaine lecture de l'auteur. Tu as intérêt a ce qu ik doit très bon.

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