Le passe-muraille



Marcel Aymé, Folio, 1941, 224 p., 7€ ebook avec DRM


Après lecture de ce recueil, nul doute que mes profs de français n'étaient pas de bons pédagogues. Ils m'avaient détourné de ce livre qui a tout pour me plaire : un ton ironique sur l'absurdité des choses de la vie, des thématiques sociétales. Ainsi qu'un bras d'honneur à l'occupant allemand.


Présentation de l'éditeur :


Il y avait à Montmartre, au troisième étage du 75bis de la rue d'Orchampt, un excellent homme nommé Dutilleul qui possédait le don singulier de passer à travers les murs sans en être incommodé. Il portait un binocle, une petite barbiche noire et il était employé de troisième classe au ministère de l'Enregistrement. En hiver, il se rendait à son bureau par l'autobus, et, à la belle saison, il faisait le trajet à pied, sous son chapeau melon. Dutilleul venait d'entrer dans sa quarante-troisième année lorsqu'il eut la révélation de son pouvoir.

Mon ressenti :


Un classique de la littérature française. Je pensais lire un roman, mais il s'agit en fait d'un recueil de nouvelles se situant principalement dans les genres du fantastique et, un peu, de la science fiction avec comme thématique commune la vie sous l'occupation allemande. Les nouvelles sont parues dans des journaux et revues, certains collaborationnistes, mais que fait la censure ? Certains textes n'étant pas tendre avec l'idéologie nazie et l'occupant allemand. Marcel Aymé a eu un parcours politique atypique :

Son parcours est, en effet, déconcertant. Il est classé à gauche jusqu'à ce que, le 4 octobre 1935, il signe le Manifeste des intellectuels français pour la défense de l'Occident et la paix en Europe, qui soutient Mussolini dans la seconde guerre italo-éthiopienne. Tandis qu'en pleine Occupation il fait équipe au cinéma avec un réalisateur marxiste, Louis Daquin, il donne dans le même temps romans et nouvelles à des journaux collaborationnistes : Je suis partout, La Gerbe, mais comme il n'y a dans ses textes aucune trace d'engagement politique, il ne sera pas mis sur la liste noire des écrivains à la Libération. Il a même férocement tourné en dérision le régime nazi avant 1939 (Voir : Travelingue, et La Carte ou Le Décret dans Le Passe-muraille) et n'a donné aucun gage de ralliement à l'occupant après 1940. Ironie du sort, c'est une collaboration cinématographique avec la Continental-Films qui lui vaudra un « blâme sans affichage » en 1946, pour avoir « favorisé les desseins de l'ennemi ». En conséquence, il refuse la Légion d'honneur qui lui est proposée trois ans plus tard en 1949. Il est alors invité à l'Élysée, invitation qu'il décline en s'estimant indigne pour le motif qui a entrainé son blâme.
Wikipedia

Les neufs nouvelles de ce recueil sont souvent très ironiques, caustiques ou surréaliste par moment.
L'auteur s'en prend à la bureaucratie, au gouvernement (sous l'occupation, il faut le faire), aux inégalités sociales. Il attaque souvent les textes de ce recueil par un événement absurde (La Carte, Le Décret).
Le passe muraille qui donne le nom à ce livre est la plus courte du lot, une dizaine de pages, ce qui ne l'a pas empêché de devenir une oeuvre culte avec sa multitudes d'adaptations.
J'ai dévoré ce livre. Il y a bien quelques textes un peu en dessous, tel Les Sabines où une femme se découvre le don d'ubiquité, eten profite pour se prendre un amant. Un peu trop répétitif et une chute que la morale approuve.mais dans l'ensemble, le ton et le style m'ont plu, y trouvant quelquefois un style à la Desprosges. Bienvenue en absurdie !
Petites revue de détails sur quelques textes dont j'ai le plus apprécié :


Le passe muraille :
Le narrateur découvre son talent sur le tard, alors qu'il avait une vie pépère et bien rangée, si ce n'était le chef de son administration qui n'a que le mot progrès en tête. La découverte de son talent pourrait bien changé les choses. C'est une nouvelle pleine de péripéties plus invraisemblables les unes que les autres, mais dont on savoure chaque moment. Un texte à la douce ironie contre les chefaillons bureaucrates qui se poursuit sous la forme d'un Robin des bois des temps modernes.

La Carte :
Le journal intime d'un écrivain nous conte les quelques jours après la parution d'un décret pour le moins étrange : le temps de vie de certaines catégories de population sera rationné pour économiser les vivres.
Je ne vous raconte pas comment cela se réalise concrètement le rationnement, c'est l'un des sel de l'histoire. Un texte très ironique sur les inégalités sociales et raciales. Mieux que bien de longs discours.

Le Décret :
C'est une suite de la nouvelle précédente. Suite à l'échec du rationnement du temps de vie, le gouvernement annonce une nouvelle mesure pour mettre fin à la guerre : le temps sera avancé de 17 ans ! Au contraire de La carte qui s'attardait sur le comment et le pourquoi, ce texte préfère réfléchir à la notion du temps. Un texte qui plaira aux amateurs de voyage dans le temps.

Le proverbe :
Un patriarche fait la pluie et le beau temps dans sa maisonnée. Un jour, après avoir tyrannisé psychologiquement son fils, il l'aide à faire son devoir : commenter le proverbe "rien ne sert de courir, il faut partir à point"
Rien n'à voir avec la SFFF, mais un bon texte qui réussit à brosser un portrait nuancé du tyran et des relations de familiales, faites de haine et d'amour entrelacé.

Le Percepteur d'épouses :
L'histoire d'un percepteur au bon coeur dont l'épouse est un panier percé, au point de rendre difficile le paiement de leur impôts. Une nouvelle à chute cocasse sur la bureaucratie.

Les Bottes de sept lieues :
Une bande de gamins rêvent devant la devanture d'un magasin vendant les fameuses bottes de sept lieues. Une ode à l'imaginaire enfantin, une critique acerbe des relations riches pauvres.

En attendant :
En patientant devant l'épicier, un groupe de clients parlent des conséquences de la guerre sur leur quotidien. Alors que tout le monde se plaint, à tord ou à raison, mais avec force détails, un seul dit simplement "Moi, dit un Juif, je suis juif." C'est tout, et c'est trop. Même si j'y ai trouvé quelques longueurs, ce simple constat du juif vaut la lecture.

Marcel Aymé tombe dans le domaine public en janvier 2018 au Québec, attendez donc quelques jours pour vous faire plaisir gratuitement.


Quelques citations :

Pendant que mes enfants meurent de faim, pour ces cochons-là, c’est des œufs à vingt francs la pièce, viande à tous les repas, beurre à quatre cents francs, poulets, jambons à s’en faire éclater le gilet. Et les habits, et les souliers, et les chapeaux, leur manque rien, soyez tranquilles. Les riches, ils mangent plus qu’avant guerre, ils se forcent même à manger, peur d’en laisser aux malheureux. J’invente pas. Hier, j’ai entendu chez l’épicier deux femmes harnachées, pardon, fourrures, bijoux et pékinois, elles disaient que les gens, de peur de manquer, ils mangeaient le double d’autrefois. « C’est comme ça chez nous », elles disaient. Parlez-moi des riches. Tous assassins, tueurs d’enfants, voilà ce que c’est. Marchez, la guerre, ça durera pas toujours. Quand les Allemands ils partiront, on aura des comptes à régler. Tous ceux qui auront la gueule fraîche et le ventre sur la ceinture, on aura deux mots à leur dire. Pour chacun de mes gosses qu’ils m’auront assassiné, il m’en faudra dix. À coups de galoche dans la gueule, que je les tuerai, et je mettrai du temps, je veux qu’ils souffrent. Les cochons, ils ont le ventre plein quand ils viennent nous causer honneur, loyauté et tout le tremblement. Moi, l’honneur, on en recausera quand mes enfants n’auront plus faim.
En attendant

Une conception de l’art, hautaine et intransigeante, lui interdisait de peindre sans y être poussé par l’inspiration. « Quand je devrais l’attendre dix ans, disait-il, je l’attendrais. » C’était à peu près ce qu’il faisait. Le plus ordinairement, il travaillait à enrichir sa sensibilité dans les cafés de Montmartre ou bien affinait son sens critique en regardant peindre ses amis, et quand ceux-ci l’interrogeaient sur sa propre peinture, il avait une façon soucieuse de répondre : « Je me cherche », qui commandait le respect.
Les Sabines

Antoine Lemurier, qui avait manqué mourir, sortit heureusement de maladie, reprit son service au bureau et, tant bien que mal, pansa ses plaies d’argent. Durant cette épreuve, les voisins s’étaient réjouis en pensant que le mari allait crever, le mobilier être vendu, la femme à la rue. Tous étaient d’ailleurs d’excellentes gens, des cœurs d’or, comme tout le monde, et n’en voulaient nullement au ménage Lemurier, mais voyant se jouer auprès d’eux une sombre tragédie avec rebonds, péripéties, beuglements de proprio, huissier et fièvre montante, ils vivaient anxieusement dans l’attente d’un dénouement qui fût digne de la pièce. On en voulut à Lemurier de n’être pas mort. C’est lui qui avait tout foutu par terre. En représailles, on se mit à plaindre sa femme et à l’admirer.
Les Sabines

Dans les files d’attente, j’ai reconnu, non sans émotion, et, je dois l’avouer, avec un secret contentement, des camarades de Montmartre, écrivains et artistes : Céline, Gen Paul, Daragnès, Fauchois, Soupault, Tintin, d’Esparbès et d’autres. Céline était dans un jour sombre. Il disait que c’était encore une manœuvre des Juifs, mais je crois que sur ce point précis, sa mauvaise humeur l’égarait. En effet, aux termes du décret, il est alloué aux Juifs, sans distinction d’âge, de sexe, ni d’activité, une demi-journée d’existence par mois.
La carte

Une longue expérience lui avait appris que certaines dames d’une condition supérieure, comme l’était Mme Frioulat, n’aiment pas beaucoup se trouver dans une situation qui les mette sur un pied d’égalité avec les pauvresses. L’épicière de la rue Ramey souffrait dans un sentiment esthétique de l’édifice social. Cette solidarité avec une créature trop évidemment fille mère faisait naître en son cœur un doute vénéneux. Bien que commerçante et ayant une auto, pouvait-elle croire encore à la vertu des catégories ?
Les bottes de sept lieues



4 commentaires:

  1. Merci pour cet article, moi qui pensait que Marcel Aymé c'était juste les mièvreries des contes du Chat perché (qui sont sympas à 8 ans mais bon...). Si je le croise chez un bouquiniste je le prendrais !

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    1. Ces nouvelles sont bien loin du mièvre. Au moins, l'auteur sait s'adapter au public.
      Je suis heureux que tu veuilles tenter ce recueil, cela a été une bonne découverte pour moi, j'espère qu'il en sera de même pour toi.

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  2. Je l'ai lu il y a... pfou, une éternité ! et j'avoue que le seul souvenir que j'en ai gardé, c'est que j'avais bien aimé ^^

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    1. On ne peut se souvenir de tout, mais déjà savoir que le bilan est positif est suffisant

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